Reconstruire à partir d’une épave
En 2022 naissait ce qui allait devenir des mois plus tard le centre Twaweza shinda. AGIR RDC venait de s'octroyer un petit terrain dans l’un des quartiers de la ville de Goma à l’histoire sinistre ; le quartier Lac Vert. Ce quartier, tout comme Mugunga à son nord, sont fruits d’une histoire triste et complexe vieille de près de 30 ans. Ce quartier naquit en 1994 en marge du génocide rwandais. Le 15 juillet 1994, au lendemain de la chute de la préfecture de Ruhengeri dans les mains de nouveaux conquérants, le FPR, et la veille de la chute de celle de Gisenyi voisine à la ville de Goma, 250 000 réfugiés rwandais traversèrent la frontière et entrèrent au Congo par Goma. Cette entrée fut en phase avec une vaste crise humanitaire qui vit des milliers de morts par famine et choléra. Face aux exigences de protection humanitaire, le HCR et l’Etat Congolais décidèrent de placer ces réfugiés à plus de dix kilomètres de la frontière, soit à Mugunga. C’est ainsi qu’en 1994, le camp de Mugunga fut le plus grand camp d’Afrique.
En commençant par la guerre de l’AFDL où le camp d’ailleurs fut bombardé, celle du RDC, du CNDP ou alors celle du M23, l’on peut dire aujourd’hui que ce camp n’a jamais cessé d’exister. C’est souvent au cœur des efforts de le démanteler que surviennent d’autres crises qui y mènent des milliers de populations. Bien évidemment, autour du grand se construisirent plus de six camps au fil des années.
Durant toutes ces crises, approximativement seuls 40% d’occupants de ces camps ont pu rentrer chez eux, les 60 % restants s'étant arrangés pour se trouver des abris hors du camp et commencer leur vie nouvelle en ville avec l'espoir d'être à l'abri. C’est ainsi que commença le peuplement de cette zone qui plus tard fut administrativement subdivisée en deux quartiers ; Lac vert et Mugunga.
Le quartier Lac Vert est donc né d’une crise, et son peuplement est fruit d’une résilience et d’une stabilité recherchées par des populations qui ont décidé d’en faire leur nouveau “chez soi”. Mais la vulnérabilité accrue est restée l’une des enseignes de ces quartiers. Avec une population de près de 100 000 habitants, entre des infrastructures sociales (écoles, hôpitaux, rues entretenues, logements décents...) quasi inexistantes vue la densité de la population et éloignement de grands centres commerciaux de la ville, le quartier Lac vert reste avec une image sinistre continuellement entretenue par les arrivées à répétition des déplacés de guerre chaque fois qu’une guerre éclate.
La jeunesse du quartier Lac vert est désœuvrée tout comme l’ensemble des ménages. Sans emploi ni encadrement quelconque, elle est lâchée à une grave délinquance juvénile qui semble congénitale. La population en général y a un passé traumatique, et cela affecte naturellement son mode de vie.
C’est au cœur de ce quartier au passé dramatique et fade que depuis des mois AGIR RDC essaie d’installer un miroir d’espoir ; le centre Twaweza shinda. À la fois un centre d’écoute pour la prise en charge psychologique de la population locale et un centre de formation en métiers des jeunes du quartier, le centre Twaweza shinda est une expression de notre volonté de reconstruire, retrouver des repères et croire au relèvement de cette communauté avec elle et par elle.
Au mois de Mars, et trois mois avant pour la couture, étaient lancées les formations en conduite auto, peinture et maçonnerie des jeunes du quartier. Si toutes les formations se sont déroulées avec d'énormes succès, nous jetons un regard particulier sur celle en maçonnerie.
La formation en maçonnerie a réuni pendant deux mois près d’une vingtaine de jeunes. Ayant entre 15 et 20 ans, ces jeunes sont nés ici dans ce quartier, des parents déplacés de guerre ou réfugiés pour la plupart. Après un mois d’apprentissage théorique, ces jeunes ont dans leur séance de pratique, construit la fosse septique du centre Twaweza shinda qui n’avait jusque-là pas de toilette pour les bénéficiaires qui le fréquentent. Avec un courage impressionnant et un savoir fair hors pair, ces jeunes ont prouvé, en dotant au centre cette fosse septique, qu’ils sont plein de potentiels, de talents et de détermination, et que grâce à la formation ils étaient capables de briser les barrières liées à l’histoire de leur quartier et de leurs parents. Par ce travail, ils témoignent aussi de leur attachement au centre Twaweza Shinda grâce auquel le monde professionnel leur est ouvert désormais. Ils sont également la preuve, qu’avec un peu de moyens, la communauté locale apportera aussi sa pierre pour la construction de ce centre qui, quoique ses résultats sont éloquents, demeure encore un grand chantier dont la finition appelle les uns et les autres à aider AGIR RDC dans cet effort.
Ce centre, Twaweza shinda, n’est pas qu’un centre, c’est bien une oasis de paix repéré dans un désert où seuls les vents du désespoir et de la résignation soufflaient encore. Twaweza Shinda c’est une garantie pour la communauté locale qu’il est encore possible de se relever. Construire ce centre pour donner l’opportunité de bénéficier d’une réinsertion socio-économique à plus de 5000 jeunes désœuvrés nous est un devoir collectif sacré. Ces jeunes, désormais maçons, nous en donnent l’exemple.