TUKO NA WEZA
Si quelqu’un l’avait prédit il y a trois ans, personne n’y aurait cru. Et pourtant, le grain de sénevé jeté il y a trois ans par AGIR RDC à travers le projet Twa weza shinda a donné un arbre qui commence à être visible de loin.
En mai 2021, comme l’ensemble des populations du Nord de la ville de Goma, les participants au projet Twa weza shinda perdaient tous leurs biens, et certains leurs proches. La détresse se lisait sur les visages des milliers des personnes, et l’espoir avait disparu. Dans la foulée, AGIR RDC construit un projet avec ces sinistrés, un projet à cheval entre l’aide d’urgence et la reconstruction de leurs communautés. Ce projet était axé sur la prise en charge psychologique, la mobilisation communautaire dans un contexte ou des familles vivaient dans des écoles et églises et qu’une communication qui favorise l’harmonie et la protection de tous contre tout était indispensable, mais également la réintégration communautaire.
Parmi la centaine des participants directs, en 2021, on pouvait y voir Gertrude, José et Jeannette, toutes faisant partie du groupe de Buhene, une région au Nord de la ville de Goma. Toutes trois ont participé à l’ensemble du programme ; la prise en charge psychologique, la mobilisation communautaire. Elles se sont inscrites dans le programme de l’alphabétisation dans le cadre de la réintégration socio-économique, avant d’adhérer à la Caisse d'épargne du groupe (AVEC-Association Villageoise d’épargne et de crédits). Trois ans, après, elles ont encaissé une large et riche expérience.
D’abord, la Caisse d'épargne leur a permis de mener de petits commerces ; « L’alphabétisation m’a permis de savoir lire, écrire et surtout de calculer. Avec des crédits contractés dans l’AVEC, j’ai donc réussi à entretenir un petit commerce des pâtisseries. Tout allait bien jusqu’à un moment où plus rien n’allait. L’inflation ne cessait de s’accentuer, on rentrait au marché et on trouvait toujours les prix qui ont haussé. Les enfants ont commencé à manger ces mêmes pattes, ils ne pouvaient faire autrement. Alors j’ai réfléchi, j’ai partagé mes difficultés à mes camarades du groupe et on a trouvé une autre alternative » nous révèle Gertrude. C’est la réalité de plusieurs, face au surpeuplement de la ville suite à la présence d’un million de déplacés, la rareté de produits vivriers, la montée des prix, la situation est de plus en plus intenable. Mais Twa weza shinda c’est la recherche permanente des alternatives, et les participants le pratiquent déjà.
Ce mercredi matin, il est presque 6 h 30 du matin quand nous arrivons dans une zone cultivée à l’Ouest du groupement Munigi un peu plus Nord de la ville. Nous y allons visiter Gertrude, Jeannette et José, mais cette fois dans leurs champs. C’est l’émerveillement à l’arrivée. Ces trois femmes, membres du groupe Twa weza shinda cultivent ici, presque un hectare assemblé. Elles se sont mises ensemble, ont pris des crédits dans leur AVEC, ont acheté des semences et sont venus ici louer des champs.
« Nous travaillons toujours à trois, on commence par le champ de la première, nous préparons le champ, nous semons, nous sarclons, … ensuite par celui de la deuxième et enfin par la troisième. Ici, nous sommes dans le champ de Jeannette. Nous faisons tout ensemble et ça marche mieux. Nous cultivons ici le haricot, à la récolte, nous vendons une partie pour satisfaire à d’autres besoins familiaux, nous mangeons une partie et nous gardons une partie comme semence », nous explique maman José, la plus âgée de toutes.
Celles qui n’avaient plus presque rien, il y a trois ans sont maintenant des employeuses. Elles engagent des déplacés pour cultiver pour eux, à la récolte les militaires et les combattants aux environs viennent demander également une ration ici. Elles sont devenues indispensables pour la communauté.
« C’était la meilleure alternative. Nous subissons moins la pression du marché ici. Nos familles en vivent. À la récolte, même mes filles déjà mariées viennent s’approvisionner. Ce champ est une réponse à plusieurs besoins. Malgré le risque de vol des plantes, on s’accroche. Chaque fois que nous avons l’opportunité de prendre une autre étendue, nous recourons à notre groupe d’AGIR, nous contractons un crédit pour renforcer. AGIR nous a montré le chemin et nous le parcourons avec détermination. Nos enfants nous soutiennent ; chaque fois, ma fille nous apporte à manger à midi. Nous sommes maintenant des piliers importants pour l’économie de nos familles et rien n’est plus comme avant », nous confie Jeannette en nous accompagnant après 2 h 30 de travail et d’échanges dans leurs champs.
Gertrude, José et Jeannette sont un échantillon de l’impact du projet Twa weza shinda 1, trois ans après. Elles sont un modèle pour les groupes qui ont suivi leurs pas et qui ont la rage de réussir également en s’adaptant au contexte et en définissant une pluralité d’alternatives. S’il y a trois ans, on se disait ensemble « Twa weza shinda » « Nous pouvons réussir encore » dans les groupes, aujourd’hui, Gertrude, Jeannette, José et plusieurs autres dizaines de participants peuvent dire à l’unisson : « uko na weza » « Nous sommes en train de réussir ».