« L’autonomisation de la femme du Nyiragongo ; une lutte à plusieurs noms »

Plusieurs fois, nos staffs passent le plus gros de leur temps sur terrain, aux côtés des communautés. Ces moments sont riches en expériences, en observations et ce sont là des mments qui nous permettent de nous interroger continuellement sur la nécessité, la portée ainsi que l’impact de nos actions avec les communautés vulnérables. Ces staffs y vont souvent avec un œil d’observateur et un esprit ouvert pour vivre à fond les réalités des populations. Quelques–uns racontent déjà ce qu’ils rencontrent, ce qu’ils y vivent. Nous vous présenterons désormais cette rubrique « Témoignages », dans laquelle nos staffs racontent, avec une pertinence évidente, ce qu’ils croisent sur leur route.  Nous commençons cette rubrique avec notre Senior Officer Monitoring. Elle a eu à rencontrer des jeunes filles bénéficiaires de notre projet ‘Twa weza Shinda » apprenant la coupe et couture, et l’esthétique. Elle nous en parle dans ce billet ;

Elles ont toutes entre 13 et 25 ans, elles n’ont pas un niveau d’étude élevé. Elles ont pour la plupart fréquenté l’école mais n’ont pas eu la chance d’aller loin suite à la précarité économique de leurs familles, au manque d’ambition ou alors aux contraintes culturelles dont le mariage précoce. 

Elles habitent la zone périurbaine située dans le territoire de Nyiragongo et la ville de Goma. Une zone décimée par la dernière lave du volcan Nyiragongo. Mais avant, Buhene, parce que c’est de la zone  qu’il s’agit, est une zone rouge du point de vue sécuritaire et du point de vue cohabitation entre communautés. Mais là-même, ces jeunes filles ne voient aucune limite. Elles veulent être autonomes. Profondément autonomes. 

Après l’abandon précoce des études, il leu fallait trouver un moyen de s’organiser, financièrement surtout/ Deux choix s’offraient à elles ; soit se marier pour dépendre du mari ou apprendre un métier pour ne plus être à la charge des parents. 

« Grandir c’est savoir se prendre en charge, nous disent nos parents » dit Chanceline, une des apprenantes en Esthétique. « J’ai arrêté mes études en 4e secondaire parce que mes parents ne trouvaient plus les frais scolaires et maintenant je dois faire en sorte de trouver de l’argent pour ne plus dépendre de ma mère. Je voudrais être en mesure de me payer ma lotion, mes babouches et des habits »

Le commerce semble à première vue être la première alternative puisque les travaux champêtres ne sont plus accessibles à tous. Ainsi elles se consacrent à la vente des unités, des cannes à sucre, et tentent aussi le métier des filles des ménages mais ne supportent pas les traitements qui sont souvent déshumanisants. Mais en expérimentant le commerce, elles nous disent réaliser que le profit semble insignifiant vus le temps et l’énergie y consacrés, couplés aux nombreuses tracasseries normalisées malheureusement. Elles se tournent alors de plus en plus aux métiers innovants.  

La plupart d’entre elles veulent apprendre des métiers moins exigeants financièrement pour le démarrage mais durablement productif d’où le choix de la coiffure femme et d’autres plus ambitieuse se rangent dans la couture car elles sont fascinées par la mode vue leur jeune âge.

Alice nous révèle : « Mes parents sont cultivateurs et moi je les aides au champ, nous cultivons les pommes de terre que nous mangeons et nous en vendons aussi pour avoir de l’argent. Personnellement j’aime tout travail manuel mais quand je me demande le temps que ça prendra pour arriver à me payer un champ pour cultiver et gagner mon propre argent afin de répondre à mes besoins, je deviens découragé. Pour le moment ce n’est pas évident mais je trouve bien que je sache tresser pour qu’à chaque fois que j’aurai l’argent je réponde à mes besoins et quand je serai mariée je ne deviendrai pas une charge pour mon mari. » 

Eh ben, c’est bien là la question du mariage, omniprésente et incontournable dans les échanges avec ces filles avec ces jeunes filles. Elle soulève aussi les préoccupations culturelles. Avec une population essentiellement Kumu et Nande, les familles sont plus ou moins conservatrices des coutumes et peu flexibles au mixage.  

Les hommes kumu sont pour la plupart polygame, la solidarité entre épouse dans le mariage est un chantier quotidien, les femmes nandes sont gracieuses d’avoir souvent un mari, nous racontent ces jeunes. Elles ajoutent : « Chez les Kumu il est préférable qu’une fille vive en concubinage ou qu’elle soit une nième épouse d’un homme qu’elle soit une fille-mère parce que c’est une  honte et une charge de la famille et cela réduit sa chance de trouver un mari et si par bonheur elle en trouve, il aura moins d’égard à sa personne. Mais pour les filles nandes la coutume est tolérante envers les filles mères, elles peuvent vivre en famille et se trouver un mari. » .Ce souvent l’objet de leurs causeries. Ce qui est impressionnant c’est que le groupe est composé de des jeunes filles issues de ces deux communautés, les conclusions de ces causeries les amènent souvent à la nécessité d’une véritable autonomisation pour les filles qu’elles sont.

Pendant la pratique elles prennent le temps de se conseiller mutuellement.

Vers la fin de la séance, pendant que l’on s’éclipse, Charline, aussi sinistrée de la récente éruption du Nyiragongo, et une des rares mariées du groupe, motive ses camarades apprenantes. Elle le dit en langue locale mais une d’elle nous aide à traduire « J’apprends ce métier de coiffeuse comme femme mariée pour aider mon mari à relever l’économie du foyer. Nous avons perdu nos maisons et j’ai perdu tout mon commerce. Maintenant on doit tout recommencer. Si je reste sans rien faire, comme je n’ai pas beaucoup étudié, je ne me sens pas fière de moi. Maintenat, depuis que j’ai commencé la formation, il arrive que je reçoive des clients qui me donnent 10000fc et ça m’aide à contribuer à la ration de mon foyer. Voyez-vous mes amies ? En tant que mes petites sœurs je me dois de vous dire de ne jamais négliger le travail, plutôt le valoriser et y tirer profit. » 

La formation en coupe et couture demande du temps pour une bonne maîtrise des mesures pour la coupe et une souplesse pour la couture mais aussi de l’imagination ou l’exactitude pour la production des modèles d’habits. Le pagne est le tissu le plus cousu car il symbolise pour la femme africaine. Cela influe sur sa commercialisation. 

Léa, 21 ans, a abandonné ses études en 5e des humanités (math-physique) faute de moyens, bien qu’elle rêvait d’être médecin. Lors des entretiens personnalisés, elle s’est confiée à moi : « Au lieu de rester à la maison à ne rien faire je préfère apprendre un métier comme la vie ne m’a pas permis de réaliser mon rêve. Lorsque je saurai coudre très bien, mes clients me payeront et j’aurai de l’argent pour répondre à mes propres besoins et aider ma famille. Pendant longtemps je désirais apprendre la coupe et couture mais je ne pouvais pas car mes parents ne sont pas aussi en mesure de payer les frais de la formation mais maintenant que j’en ai trouvé une encore gratuitement, je dois en profiter et finir avec un minimum de connaissances. »

Les ambitions de toutes ces bénéficiaires sont grandes. Elles transcendent les différences culturelles et les obstacles fréquents. Je témoigne de leur courage et de leur envie de réussir. Pour concrétiser le tout, AGIR-RDC permet qu’en parallèle de la formation en métier se fassent une formation en entreprenariat et en gestion financière, de quoi permettre à ces jeunes filles d’avoir de bases solides pour que leur élan soit pour du bon. Elles réussiront et changeront le cours d’histoire de leur communauté. J’en sûre pour y avoir été, j’en suis sûre pour avoir échangé avec elles à cœur ouvert, j’en suis sûre pour avoir été témoin de leur détermination et de leur certitude de ne plus jamais rentrer en arrière. J’en suis sûre pour avoir été à la rencontre de ces jeunes filles espoir.

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