GUERRE AU NORD-KIVU ; CES MAMANS DE CEUX QUI N’ONT PLUS DE MAMAN
C’est Dimanche. Et le temps de partir à l’église ce 25 Février, je le consacre à la lecture des rapports que m’ont transmis mes collègues qui étaient sur terrain dans le camp des déplacés tout au long de cette semaine pour aider les populations délogées de leur « chez eux » par la guerre. Le lundi dernier, nous avons relancé les activités après 4 jours d’observation parce que la situation devenait inténable avec des bombes qui étaient larguées sur des zones habitées par des civiles. L’on se permettait donc d’etre prudents et ne pas y aller. Mais beaucoup d’alarmes de détresse nous sont arrivées et nous nous sommes remis sur la route Mugunga-Bulengo. Combiner les deux ; etre prudent et aider en même temps, se disions-nous.
Une fois sur terrain, l’étonnement était tristement immense. Nous qui agissions à l’église CEPAC pour ces manages qui étaient hébergés dedans, nous nous retrouvions dans un camp complet, dense et dans lequel la misère gagne étrangement de l’espace. Les ménages n’étaient plus les seuls dans les églises, les statistiques s’étaient multipliées par quatre, beaucoup de familles sans espaces, qui dorment sous la belle étoile, et d’autres qui érigent des cases en bâches tous les bords de la route.
Que faire ? Rentrer parce que l’on ne peut satisfaire tout le monde, parce qu’on se sent impuissant, ou faire ce que l’on peut. Nous avons opté pour le dernier.
Alors tout au long de la semaine, nos équipes se sont divisés les taches, les uns dans la sensibilisation et l’encadrement des déplacés pour l’entretien de l’hygiène collective vue la promiscuité menaçante dans laquelle ils vivent, d’autres dans la préparation des suppléments alimentaires, d’autres dans la clinique mobile pour identifier les malades, leur doter des médicaments quand il le faut et les conduire dans des structures sanitaires, et d’autres dans la réunification des familles séparées.
Nous prenons soin souvent de prendre des histoires personnelles, elles nous permettent de ne pas saisir les problèmes que dans la globalité, mais également d’agir en fonction des besoins
Alors ce matin je lis toutes les histoires qui m’ont été transmises. Elles sont sans surprise trop inhumaines. Entre les femmes qui ont vu leurs maris etre tués par les hommes en armes,les enfants qui ont perdu leurs parents, les femmes malades, celles qui sont sorties de l’hôpital en fuyant encore avec des plaies post-chirur pour sauver leurs vies, … la douleur est immense. Et à chaque lecture de ces histoires, j’alterne par de courtes prières parce que l’issue imaginé de chaque histoire fait peur, entre ces enfants désormais orphelins, ces femmes dont les maris sont au front, selon elles, par souci de vengeance, ces désormais veuves, …
Mais à chaque tourbillon il y a une rose qui résiste. Ce matin, nous sommes également encouragés, fortifiés et consolés par l’héroïsme dont ces déplacés font preuves même quand ils ne sont pas sûrs de survivre. Même dans les pires moments ils restent solidaires, comme un seul peuple, une seule âme, avec une envie collective de survivre, de sauver une vie qui peut l’etre encore sans être terrifié par le sort que réserve le lendemain.
Nos équipes ont aussi rencontré beaucoup de femmes avec de nombreuses familles. Dans les échanges, nos équipes voulaient en savoir beaucoup. L’heureuse réalité est que certaines femmes rencontraient des enfants perdus de leurs sur la route de la fuite, les récupéraient et prenaient soin d’eux jusque dans le camp, parfois sans savoir d’où ils venaient et de quels parents étaient-ils nés.
Ernestine est l’une de ces mères à tous. Veuve de son état, lors de sa fuite en quittant Rubare, un homme dans la foule avait été fusillé par les rebelles et était mort sur le champ. L’enfant de ce dernier, 11 ans, n’avait pas été touché. Ernestine avait alors pris cet enfant, orphelin désormais de deux parents, et ne l’a plus laissé durant tout son périple, de Rubare à Goma en passant par Kitchanga et Sake. Dans la peine du camp, elle prend soin de cet enfant comme le sien, et les fuites répétitives ne l’ont pas permis de trouver sa famille élargie.
Zawadi est une autre. Épouse d’un militaire au front, parmi les huit enfants qu’elle nous présente, deux seulement viennent de ses entrailles. Les six autres, elle les a récupérés, perdus, durant la série des fuites. Avec toute la peine de trouver à manger, même pour une seule bouche dans le camp, Zawadi se lève chaque matin pour trouver à manger pour ses huit compagnons. Elle a présenté les six enfants à notre cabinet mobile de réunification familiale pour essayer de trouver les parents de ces enfants.
Elles ne sont pas des cas isolés. Malgré la vie difficile dans ce camp, où manger est un miracle, dans ce que cette guerre présente de plus cruel et de plus inhumain, il y a ces mères à tous qui résistent contre le rejet que prêchent la famine et la précarité, et qui n’oublient pas qu’une mère en Afrique est une mère de tous les enfants qui n’ont plus de mère.
Alors cette tragédie tue les hommes et les femmes, mais ne tuera pas ce qu’ils ont en eux. Elle ne tuera pas leur envie de survivre ensemble, de rester solidaire même dans la pire des douleurs. Ces mères à tous sont cette oasis qui refuse de sécher dans un désert de l'agonie et du désespoir. Elles sont notre motivation à ne pas nous décourager et à nous joindre à eux encore une fois cette semaine pour que la flamme de solidarité qu’ils ont commencé à allumer entre eux dans la douleur, que cette flamme ne s’éteigne point. Vous pouvez vous joindre à nous.