Énième reprise des affrontements ; de milliers de personnes se déplacent encore vers Goma.
Depuis le 25 septembre, la province du Nord-Kivu brule encore malheureusement sous les coups des canons. Ceci faisant suite à l’expiration du cessez-le-feu entre les forces gouvernementales et les rebelles du M23 en guerre depuis novembre 2021. Ainsi le mois de septembre a chuté avec des attaques des jeunes résistants wazalendu contre les M23 et la reconquête des villages autrefois sous contrôle du M23 ont fait la une de l’actualité. Des reconquêtes qui ont fait la joie des populations, avant que les M23 n’organisent la contre-attaque et ce, dans les territoires de Rutshuru, Masisi et Nyiragongo.
À l’instant, difficile de donner des précisions sur ce qui se passe sur les lignes des fronts. Mais depuis près d’une semaine, à l’annonce des affrontements à Burungu et Kilolirwe dans le Masisi, et Kibumba dans le territoire de Nyiragongo, beaucoup de déplacés arrivent à Goma et ses environs. Parmi eux, 60% sont ceux qui avaient courageusement regagné leurs villages à cause d’une vie insupportable dans le camp. Hélas, ils sont obligés de fuir encore une fois.
A kanyaruchinya, à l’arrivée, nombreuses familles n’ont pas où s’abriter. Certaines se rassemblent dans des hangars, alors que certaines autres tentent de se faufiler dans des petites cabanes de leurs connaissances. Déjà, difficile qu’une famille de huit personnes habite dans un petit blindé de 3m/4. Mais ici l’insupportable n’est pas français. Ils sont à la merci de la pluie, avec leurs blindés déjà en état de délabrement. Des enfants en rupture scolaire depuis une année, et là, avec les affrontements repris à 13 km au-dessus d’eux, aucun espoir de vite y revenir.
Helena, 34 ans, originaire de Kibumba, nous relate son histoire ;
« Il y a sept mois, j’avais un abri sur ce même espace, mais j’étais rentré chez moi lorsqu’on nous avait dit qu’il y avait un peu de calme à Kibumba. J’avais quitté ce camp parce que lorsque j’y étais je n’avais reçu aucune aide, je craignais que la faim me tue avec mes enfants alors que j’avais des champs fertiles. Lorsque nous vivions dans ce camp, mon mari allait chercher du travail dans des champs, mais il n’en trouvait pas souvent et ça faisait qu’on pouvait passer des journées et des nuits sans manger. Je passais aussi des journées à chercher où me faire identifier pour recevoir de l’aide humanitaire, mais je ne trouvais pas, alors je n’avais plus que le choix de retourner dans mon village. Certes, rentrer chez moi était un grand risque, mais mourir de faim dans le camp me paraissait plus grave. Lorsque nous sommes arrivés au village tout de suite, je me suis remise aux champs. Nous avons cultivé et nous avons récolté nos légumes que nous avons aussi vendus et la vie reprenait quand même, quoique territoire sous occupation. Là-bas au moins, on mangeait à notre faim, mais encore une fois voici que la guerre vient d’éclater et nous sommes obligés de revenir dans ce camp pour souffrir. Lorsque je vivais ici, j’avais un petit abri que j’avais détruit et je viens de voir là où elle était construite, il y a d’autres personnes, alors, j'essaie de trouver un espace vide où construire un nouvel abri. Je vis depuis deux jours chez mon frère à Majengo avec mes sept enfants. C’est une charge pour lui et pourtant il n’a pas non plus beaucoup d’argent. Je voudrais bien venir construire ici et dégager sa maison. »
Helena fait partie de ces familles qui errent encore sur ce site pour trouver de l’espace. Désespérément, la pluie vient de les enfoncer.
Certains racontent l’enfer vécu avant de s’enfuir. Les zones en feu étant sous bouclage, et les populations devant faire des gymnastiques périlleuses pour sortir de la zone. Daphrosa, 36ans, originaire de Buhumba, nous en a parlé ; « J’ai neuf enfants et pour sortir des Buhumba, il fallait des stratégies. Les rebelles du M23 refusent aux gens de sortir du milieu et je ne sais pas pour quelle raison. Chaque jour, j'envoyais un enfant ici sur moto parce que deux ou trois personnes ne peuvent pas fuir ensemble, s’ils rencontrent les M23, ils leur demandent de retourner dans les maisons. Dans mon village, les rebelles n’entrent pas dans des maisons pour tuer les gens, mais nous avons fui parce que les bombes commencent à être lancées entre les M23 et les FARDC et parfois ça tombe sur des maisons, il n’y avait plus des moyens de rester en tout cas. À cause de ces bombes ce n’est plus possible d’aller au champ parce qu’on peut mourir n’importe quand et maintenant la faim commençait à devenir insupportable et donc on a plus eu le choix que de sortir un à un comme ça en cachette pour être sauvé parce que rester là-bas et venir ici, c'est partout la faim et l’insécurité, mais peut-être ici, on peut recevoir de l’aide humanitaire. Là où j’avais un abri, il y a d’autres gens qui ont déjà construit, maintenant, je viens demander de l’espace. »
À Bulengo, même chose. Ils sont en groupes, venus de Kilolirwe, Burungu, et les villages environnants. Femmes, enfants et personnes de troisième âge, ils ont marché plus de 60 km à pied, avec leurs bagages, pour atteindre Bulengo. Ils sont 5117 personnes très abattues et difficile d’organiser dans un seul bloc. Ils sont obligés d’occuper l’extension du camp, de se tracer déjà de petites parcelles et de construire avec leur pagne, dans une saison pluvieuse déjà sans pitié.
En arrivant au milieu du camp, on revoit ce qu’a été la situation ici en février 2023. C’est comme si le camp renaissait, des toilettes mal entretenues, beaucoup de personnes en détresse, des poubelles dans le camp, des femmes enceintes, allaitantes dans la masse… tout ça au moment où les partenaires désertent le camp. La crise humanitaire prend encore forme ici malheureusement.
UN ILOT D’ESPOIR DANS UN OCEAN DE DETRESSE
Ils arrivent fatigués, affamés, assoiffés, mais surtout perdus dans leur intérieur pour avoir été témoin des atrocités et beaucoup pour avoir perdu leurs enfants et proches dans la guerre. À Bulengo, où AGIR RDC a maintenu sa maison d’écoute, les APS se tiennent à leur accueil. Elles leur tendent l’oreille et apaisent dans un premier temps leurs peines intérieures.
Dans leur périple, c’est la première fois qu’ils trouvent une oreille attentive, prêts à les écouter et à les orienter. Les APS les orientent vers l’espace de regroupement des nouveaux et plaident pour l’installation rapide des personnes de troisième âge, des femmes enceintes, celles allaitantes et d’autre manifestant des signes de fatigue et de traumatisme grave. AGIR RDC aux côtés de certains chefs des blocs mobilisent des jeunes volontaires pour aider ces personnes fragiles à tracer les petites parcelles et les désherber. Nombreux acceptent.
Nabichire Lucia, âgé de 60 ans, veuve, mère de 10 enfants dont 7 morts au cours de ces 15 dernières années, est l’une d’entre eux ; « Je suis veuve et je viens de kitchanga. Nous avions fui la guerre, c'était le lundi 06 novembre. Ma fille et moi avons quitté kitchanga vers kashebere, là, nous avions fait deux jours. Nous avons quitté kashebere à cause de la famine, nous nous sommes dirigés vers Nyamitaba dans le camp. C'est la guerre qui nous a poussés à fuir encore, car les bombardements arrivaient jusque-là où nous étions. Nous nous sommes dirigés ici au camp de bulengo et nous sommes arrivés le mercredi, avant-hier. Nous avons passé la nuit dans le hangar et aujourd'hui, vous venez de nous conduire jusqu’ici. Deux femmes se sont présentées vers nous et nous ont dit que vous êtes avec eux. Elles nous ont écoutés, et nous ont dit de se sentir à l’aise avec eux. Je leur ai raconté tout mon périple et elles m’ont donné des conseils. Ensuite, elles nous ont orientés vers ici pour que nous trouvions où mettre nos abris. Je les remercie énormément. Maintenant, je me sens en sécurité, je sentais une menace invisible. Mais désormais, je ne me sens pas seule. Ces deux femmes de votre groupe m’ont réconforté. Nous n’allons pas mourir ici visiblement ».
Maman Lucie parlait en swahili de nos deux APS, "les Bora. Elles font de leur mieux pour être à l’écoute de nouveaux déplacés qui arrivent." C’est ce qu’AGIR RDC peut faire pour le moment. Elle a déjà l’expérience dans la gestion des urgences. Avec plus de moyens, face à cette énième recrudescence de la crise, elle peut faire plus. Entre-temps, la plus belle femme, notre maison d’écoute devenue mobile à Bulengo, ne donne que ce qu’elle a.